La magie d'Iguazu
Nous survolons les monts enneigés de la cordillère des Andes, et l’avion semble voler bas. Plus loin, la montagne laisse place à une plaine interminable qui s’étend jusqu’à Buenos Aires. Les distances et les prix en Argentine auront raison de nos projets d’exploration dans un pays touché par une forte inflation. Certains bars affichent les prix auxquels ils achètent les dollars, devise fortement prisée dans ce contexte de fragilité économique, à 30%, voire plus, au-dessus du cours normal. Les banques ne distribuant aucun dollar, certains vont en Uruguay juste pour retirer les précieux billets verts, objets d’un marché noir intense.
Notre passage en Argentine sera furtif. Buenos Aires ne nous donne aucune raison de la courtiser plus longtemps, malgré une ballade plutôt agréable dans un marché d’artisanat où s’exposent dans les rues pavées de beaux objets, et où, entre deux matés (sorte de thé local), s’exécutent quelques pas de tango. Difficile de dormir dans notre auberge où les voix résonnent avec la puissance des terres du sud jusqu’à une heure avancée. Aussi c’est déjà fatigués que nous attrapons un bus pour Iguazu situé à près de 1400 kilomètres de là, que nous rejoindrons après 18 heures de route.
Puerto Iguazu est une petite ville banale située à 18 kilomètres des fameuses chutes classées au patrimoine mondial et considérées comme une des 7 nouvelles merveilles du monde. La terre rouge donne une touche particulière aux rues pavées de pierres qui nous mènent jusqu’aux rives du fleuve Iguazu. De l’autre côté, c’est le Brésil. L’eau qui coulait clair il y a 40 ans est devenue marron foncé, presque rouge, du fait d’une intense déforestation. Les racines ne retiennent plus la terre qui ravine à chaque pluie, ce qui n’est pas sans menacer l’écosystème. Un peu plus loin, nous parvenons au point où le fleuve Iguazu rejoint la rivière Parana. Deux fleuves et trois frontières. Ici l’Argentine, le Brésil et le Paraguay se font face. Une petite chouette vient se poser près de nous.
Le lendemain, nous rejoignons le parc National d’Iguazu, côté Argentin. Le soleil est encore voilé par les brumes matinales qui s’évaporent peu à peu avec la chaleur du soleil. Une végétation subtropicale borde les sentiers où nous allons parcourir plus de 6 kilomètres à pied, découvrant de-ci de-là de magnifiques papillons. Quelques coatis, en fiers opportunistes, guettent les touristes au détour, profitant de cette manne inespérée pour agrémenter leur quotidien. Nous aurons d’ailleurs affaire à eux au moment de notre pique-nique, quand deux d’entre eux sauteront avec rapidité sur la table pour tenter de voler nos sandwichs.
Le « sentier inférieur » par lequel nous commençons permet d’entrer progressivement en contact avec les chutes. Iguazu, c’est un ensemble de 275 cascades déversant 6 millions de litres d’eau par seconde sur un front de 3 kilomètres, au sein d’une forêt tropicale. Après quelques torrents tumultueux, la brume qui commence à se dissiper donne forme au grondement des eaux en furie, quand, au détour du sentier, une première vue d’ensemble s’offre à nos regards ébahis. On peut s’approcher des chutes pour en sentir la puissance, mais le nuage qui s’élève des remous garantit une bonne douche au passage. Un arc-en-ciel se dessine près de nous, et la magie d’Iguazu se dévoile dans sa splendeur sauvage et douce à la fois.
Plus loin, la cascade des « deux frères », auprès de laquelle nous découvrons nos premiers urracas. Ces oiseaux tropicaux sont subtilement drapés de bleu et de jaune, avec des yeux dont le jaune vif contraste avec leurs sourcils bleu clair, leur bec noir et leur houppette foncée. De longues plumes pendent à l’arrière de cette merveille qui capte le regard. Plus nous remontons vers le haut des chutes, plus le panorama coupe le souffle. C’est certainement un des plus beaux endroits du monde, enchanteur, brut, saisissant. L’eau se déverse à n’en plus finir dans une végétation luxuriante où les couleurs des arcs-en-ciel s’épanouissent comme nulle par ailleurs.
Après un pique-nique perturbé par les guêpes, les coatis et finalement les singes, nous prenons le petit train qui mène vers les gorges du diable, les plus hautes cascades du site. En chemin, des nuées de papillons multicolores virevoltent autour de nous. L’un d’entre eux restera posé sur les mains de Titouan pendant le trajet. Arrivés sur place, nous restons un long moment en compagnie des nombreuses espèces de papillons qui enchantent les lieux. Jusqu’à 10 d’entre eux se posent simultanément sur le sac à dos de Cathy et les enfants se réjouissent de les voir se poser sur eux, comparant formes et couleurs des centaines d’espèces différentes qui symbolisent si bien la beauté et la fragilité de la vie.
La passerelle qui mène aux gorges du diable court pendant 1100 mètres au-dessus du Rio Iguazu, dont les eaux ocre défient les proportions habituelles des fleuves. Celui-ci se jette enfin de plus de 80 mètres de hauteur dans un tumulte assourdissant. Chacun un papillon sur la tête, nous restons fascinés devant ce spectacle divin, rehaussé par la présence ponctuelle d’un nouvel arc-en-ciel se formant en bordure du nuage de gouttelettes propulsées vers le ciel par la force de l’impact. La force de la nature est hypnotique et peu de mots peuvent rendre compte de l’expérience extraordinaire d’être happés par tant de beauté.