La route du cuivre
Arica ne sera qu’une étape avant d’enchainer avec un nouveau bus de nuit vers Calama. Notre première ville chilienne n’accroche guère le regard, en dehors du nombre impressionnant de petits casinos ouverts sur la rue et remplis de machines à sous, où la promesse de gains facile attire inévitablement son lot de perdants. Un port industriel occupe le front de mer et de nombreux oiseaux survolent la ville, par endroits envahie de guano.
Le semi-cama (bus « demi-lit ») file à travers le désert, diffusant un film en espagnol, genre propagande soporifique et catholico-correcte pour la survivance du mariage. Une fois « confortablement » engoncé dans le sommeil, en pleine nuit, je suis secoué par un homme en rouge. Il me parle et je lui réponds dans un espagnol mal réveillé qu’il ne comprend rien. Le douanier ne s’offusque guère de ma confusion et poursuit son inspection. Je perçois alors que le bus est vide et qu’il me faut descendre à mon tour. Seuls les enfants sont dispensés de réveil nocturne. Ces postes de contrôle sont réguliers sur le parcours avec le renfort de chiens renifleurs. Difficile de passer en douce avec du camembert de contrebande !
Arrivés à Calama au matin, nous nous inscrivons pour la visite d’une des plus grandes mines de cuivre du monde, Chuquicamata.
Les visites gratuites sont organisées par la société qui exploite la mine, aujourd’hui nationalisée. Malheureusement, les enfants de moins de 7 ans ne sont pas admis, et pour la première fois, nous allons nous séparer. Estéban et Cathy prennent le bus pour San Pedro de Atacama, situé à une heure et demie de route, tandis que nous prévoyons de les rejoindre en soirée, après la visite. Celle-ci commence par un tour dans la ville fantôme de Chuquicamata, dont tous les habitants ont été transférés à Calama, car trop proche de la mine. Les ouvriers y étaient logés gratuitement et leurs enfants bénéficiaient de ce qui fût une des écoles les plus réputées du pays.
La mine elle-même est gigantesque, un trou dans la terre de 5 kms sur 3, et d’un kilomètre de profondeur. Alors que la durée de vie d’une mine est habituellement de 50 ans, celle-ci sort 1500 tonnes de cuivre par jour depuis plus de 100 ans, sans compter les pointes de flèches en cuivre taillées par les premiers Atacaméens sur le site. 90 tombereaux de sept mètres de haut pour huit mètres de large, à 5 millions de dollars pièce, arpentent le site 24 heures sur 24, pour remonter l’or rouge qui finira dans les téléphones portables, les circuits électriques et les salles de bain du monde entier. Vus d’en haut, les camions géants ressemblent à de petites fourmis qui montent et descendent sans cesse se ravitailler auprès de grues colossales qui grignotent la terre tonne après tonne. Tout autour, des tuyaux enchevêtrés, des rails, des trains, des bassins, des cuves, des bâtiments servent à extraire le précieux métal de la roche.
Le bus de 16h45 ne partira qu’à 19h00. Nous n’arrivons donc à San Pedro qu’à 20h30, mais Cathy et Estéban ont tout organisé sur place. Dans la pénombre, on devine déjà les petites maisons en adobe qui font tout le charme de cette oasis au cœur du désert où nous allons rester quelques jours.