6 ans à Bonito
Les habitants de Bonito semblent avoir une passion particulière pour le billard. Certains petits bars de quartier paraissent même avoir été construits autour de la table verte où les boules s’entrechoquent. Les belles voitures anciennes rivalisent avec les « sonos mobiles » des jeunes, où l’ensemble du coffre est occupé par des enceintes géantes dont les basses font trembler les anciennes bicoques en bois en périphérie d’un centre-ville plus moderne. Petite ville sans histoires, Bonito est une base d’exploration des nombreuses attractions de la région connue pour ses rivières aux eaux les plus limpides du monde. Aux alentours, les « fazendas » (ranchs) offrent aux nombreuses vaches du coin le gite et le couvert le long des routes en terre rouge.
Nous nous rendons à la « gruta do lago azul » (grotte au lac bleu) à une vingtaine de kilomètres de là. Après une petite marche, nous pénétrons dans une vaste grotte peuplée de stalagmites géantes, témoins discrètes du « temps du minéral », où les paysages se forment pendant des millénaires, goutte après goutte, avec la patience de l’éternité. Plus on s’enfonce dans l’antre, plus se distingue au fond un lac d’eau claire d’un bleu « azuléen » (méritant bien que l’on invente un mot pour le décrire). Jeux des langues et des lieux, des reflets de roches dessinent nettement dans l’eau les lettres LA, interprétées ici comme les initiales de Lago Azul (lac bleu, ou Lac Azuléen en nouveau français).
La pluie nous rattrape et nous impose un rythme plus lent. Nous retrouvons dans notre auberge Éric et Mia, un couple de Hollandais avec lequel nous étions au Pantanal. Le 20 juin arrive et, avec lui, l’anniversaire d’Estéban qui est très content de le fêter au Brésil. Il ouvre au matin ses cadeaux en provenance du Chili, du Brésil ou du Paraguay. Les gens de l’auberge lui ont confectionné un beau gâteau au chocolat. L’actualité brésilienne est marquée par les nombreuses manifestations dans les plus grandes villes du pays à l’annonce d’une augmentation de 20 centavos du ticket de bus (soit 7 centimes d’euros), une goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà plein, quand les dépenses liées à l’organisation du Mondial en 2014 se heurtent à une croissance en baisse et à la corruption.
Mais ici, il n’y a pas de bus et les boules de billard continuent de s’entrechoquer sous les écrans de télé diffusant les matchs de foot de la coupe des confédérations. Il fait bon vivre à Bonito et nous profitons de cette quiétude pour simplement nous poser, juste quelques instants ! La température ne nous réchauffe pas, mais les toucans croisés sur les chemins de terre bordant la ville où nous marchons quotidiennement nous enivrent d’exotisme.
Le drapeau brésilien porte la devise « ordem e progresso » (ordre et progrès), survivance de la pensée du français Auguste Comte, père du positivisme, précurseur de la sociologie et fondateur à la fin de sa vie d’une « religion de l’humanité » qui n’intéressa pas grand monde. À la fin du XIXe siècle elle eut toutefois un certain succès au Brésil où subsiste une Église positiviste et quelques temples dédiés au culte du Grand Être, notamment la Chapelle de l’humanité de Rio de Janeiro. Bref, un pétage de plombs philosophique et post-traumatique qui a eu quelques retentissements jusqu’au Brésil. L’église positiviste brésilienne est d’ailleurs propriétaire de la chapelle parisienne de son « auguste » fondateur.