Rio, tudo bem
En arrivant à Rio, nous passons à côté du « sambodrome », sorte d’avenue entourée de gradins où défilent les chars des écoles de samba pendant le fameux carnaval qui enflamme le pays au mois de février. Quelques chars garés dans des hangars donnent une idée de l’ampleur de la chose. Nous sommes en plein hiver (c'est-à-dire qu’il ne fait que 28°C), dans une période bien plus calme, mais sous le soleil. Nous rejoignons l’appartement que nous avons loué dans le quartier bohême de Santa Teresa, dont les rues pavées sont ciselées par les rails du « bonde », le petit tramway jaune qui sillonnait ses pentes tortueuses. Mais en 2011, celui-ci a déraillé dans la descente, faisant de nombreuses victimes. Cet accident marque la fin d’une époque et les rails se couvrent peu à peu d’herbes folles.
Titouan se rétablissant d’un épisode de fièvre, nous visitons tranquillement le quartier en commençant par les escaliers Selaron, du nom de l’artiste chilien qui consacra une bonne partie de sa vie à décorer ces marches, devant chez lui. Plus de 2000 carreaux de faïence en provenance du monde entier ornent les 215 marches. Les thèmes sont aussi variés que les couleurs, allant des supporters de St Étienne à Iron Maiden en passant par Speedy Gonzales, dans une sorte d’hymne à la variété des cultures et des goûts. Seul le thème de la femme enceinte revient régulièrement au fil des marches, ayant parfois la tête et les moustaches de Sélaron lui-même. L’artiste est mort devant chez lui au début de cette année, brulé ou suicidé, succombant à la violence d’une ville qu’il aura contribué à bâtir, loin de sa terre natale, laissant une œuvre de 125 mètres de long, alanguie au soleil.
Après avoir découvert les oiseaux du Brésil à Iguaçu et dans le Pantanal, c’est maintenant le décor du film Rio qui se dévoile devant nous, les garçons reconnaissant tel ou tel endroit, tels les arches blanches de Lapa, le Pain de sucre ou le Christ rédempteur qui trône au-dessus de la ville. Déambuler dans un décor de film donne envie de le revoir sous un nouveau jour, tout comme les images du film nous accompagnent dans la découverte de la ville. En promenant dans le quartier de Santa Teresa, nous parvenons au parc des ruines où se dévoile une vue superbe sur la baie. Au pied d’une vieille maison en briques rouges, deux guitares, une flûte traversière, une clarinette, un tambourin et de la bonne bossa-nova accompagnent nos regards et colorent l’atmosphère d’une mélodie suave et délicate. Si nous ne comprenons guère le portugais, c’est en tous cas une langue plaisante à entendre, qui colle bien avec la légèreté brésilienne.
Face moins réjouissante du Brésil, nous croisons aussi de nombreuses personnes dormant dans la rue et cuisinant sur les trottoirs. Les 968 favelas de Rio témoignent des pans entiers de la société brésilienne vivant encore dans une misère crue, dans des ghettos gangrénés par la guerre des gangs et les trafics en tous genres. Voici plus d’un siècle que la vie s’organise dans ces constructions anarchiques, précaires et concentrées, bâties illégalement à flanc de collines, abritant une majorité de travailleurs pauvres, et non de trafiquants. Un Carioca (habitants de Rio) sur cinq vivrait dans une favela.
Rio est une grande ville, alors après quatre jours à Santa Teresa, nous changeons de quartier pour un appartement à Copacabana, près de la plage. Quatre kilomètres de sable fin forment une anse avec des immeubles tout autour. De belles vagues s’enroulent en rugissant tandis que des marchands ambulants proposent tout ce qu’il y a de vendable aux Cariocas allongés, jouant au foot ou au volley. Les plages urbaines ne manquent pas à Rio qui compte 40 kilomètres de plage, une situation géographique incomparable et un climat des plus doux. La ville idéale, si on écarte la ville elle-même qui n’est pas très belle, sinon vue des hauteurs du Corcovado.
Après avoir trainé la matinée sur la plage de Copacabana, nous montons dans un bus de ville en direction du Christ rédempteur trônant sur la ville du haut de la colline du Corcovado. Les bus urbains du Brésil sont tous équipés d’un tourniquet à côté de l’employé qui vend les billets dans le bus. Celui-ci représente un supplice pour tout être humain normalement constitué, mais vire au cauchemar pour ceux qui portent des sacs, des bébés ou taquinent trop de la fourchette. Arrivés au pied de la colline, nous prenons un train à crémaillère qui grimpe au sommet, près de la statue du Christ, haute de 31 mètres, offerte au Brésil par le Vatican et achevée en 1931. À 709 mètres d’altitude, nous bénéficions d’une vue à 360° sur Rio, ses plages, ses buildings, sa forêt urbaine (la plus vaste au monde), ses ports, ses îles, ses collines, dont le fameux Pain de sucre, et la mer jusqu’à l’horizon. La vue est juste époustouflante !
Autre point de vue magnifique le lendemain alors que le téléphérique nous mène sur le Morro de Urca puis sur le Pain de sucre, rocher de quartz en forme d’œuf qui fait partie des incontournables de Rio. Voilà plus de 100 ans que les téléphériques y mènent les curieux. Les immeubles paraissent tous petits, entourés de collines et cernés par la mer, bleue et omniprésente. Seule la taille du nuage de pollution flottant sur la ville vient altérer la splendeur du site. Les avions de ligne passent au ralenti devant nous avant de se poser sur la piste de l’aéroport Santos Dumont situé en bord de mer à deux pas du centre-ville. De l’autre côté, la plage de Copacabana, où nous prenons notre bain quotidien, nous apparait dans toute sa longueur, ouverte sur l’océan et quelques îles éparses.
Les parfums bon marché se succèdent dans l’ascenseur gothique de l’immeuble ordinaire où nous résidons au douzième étage. La vie des habitants se dévoile subrepticement à travers ces visages qui montent et descendent à longueur de journée. Ces filles sapées court le samedi soir, celles qui rentrent du travail avec leurs sacs de commissions, cet homme qui sort le dimanche matin en maillot de bain avec sa chaise et son ballon de foot partira vers la plage à l’opposé de ces femmes manifestement en route vers l’église. Tout un monde ordinaire, le Rio des Cariocas, où l’on se salue en disant « oi, tudo bem » (salut, tout va bien). De notre côté, nous suivons l’avenue sur quelques kilomètres en direction d’Ipanema, autre plage renommée de Rio, prise d’assaut le week-end par des milliers de parasols, profitant à loisir du sable et des eaux claires. Un petit avion traine une banderole de publicité pour Décathlon, annonçant notre retour imminent.
C’est aujourd’hui le dernier jour complet de notre tour du monde… Ni dépités, ni pressés de rentrer, nous accueillons chaque jour comme il vient, avec son lot d’aventures et de découvertes ; un peu de stabilité et de confort ne feront pas de mal, mais le retour dans le « quotidien » suscite peu d’enthousiasme après un an consacré au voyage et à la découverte du monde. Pour sûr, ce fut une belle aventure, intense, inoubliable.
Il est 10h30 ce matin et l’appel de la plage se fait entendre… Copacabana, un mythe à portée de pas…