MONDUS VIVENDI

Machu Picchu

L’Orient Express est certainement le train le plus mythique de l’histoire. La même société gère à 50% Peru Rail et ses trains d’altitude. Parmi ceux-ci,  l’ « Hiram Bingham », un train de luxe portant le nom de l’explorateur américain ayant « redécouvert » en 1911 le Machu Picchu. En seconde place derrière le Tibet pour la plus haute voie ferrée du monde, les rails planent à 4313 mètres en direction du lac Titicaca. Dans l’autre sens, hormis par une voie détournée et le chemin de l’Inca (4 jours de marche), le Machu Picchu n’est accessible qu’en train à partir d’Ollantaytambo. Les prix s’en ressentent. Il existe bien un service pour les locaux à bas prix, mais interdit aux gringos.

C’est donc dans un train confortable (l’expédition) que nous franchissons les 43 kilomètres  jusqu’à Aguas Calientes, dernier village avant le célèbre site Inca. Au premier abord, la petite ville est d’une laideur à faire fuir, succession d’hôtels et de restaurants aux menus identiques dont les murs n’ont pas finit d’être enduits. Pourtant le décor est grandiose, avec un torrent qui traverse une vallée encaissée entourée de pics immenses. La ville semble avoir pour seule raison d’être sa situation privilégiée à une demi-heure de bus de la forteresse du Machu Picchu. Le tour est vite fait en remontant l’avenue Pachacutec, le plus grand souverain inca, dont la statue trône sur la place principale. L’étape n’est courue que par ceux qui veulent être en haut à l’ouverture du site, à 6 heures du matin.

Il est 5 heures, Paris s’éveille… et nous aussi. En arrivant au Machu Picchu, on est impressionné par l’isolement du site, flanqué en haut d’une montagne, entouré de jungle, de ravins profonds et de sommets élevés ; parfaitement caché et souvent perdu dans les brumes. L’intérêt d’y être au lever du jour n’est pas flagrant, hormis le fait que la vue est dégagée, ce qui ne sera plus le cas trois-quarts d’heure plus tard. Quelques lamas paissent tranquillement aux abords des ruines de ce qui fût, 550 ans plus tôt, une ville et un centre religieux, initiés par Pachacutec.

Nous commençons par monter vers le point le plus haut, le rocher funéraire et sa superbe hutte, lieu de momification de la noblesse inca. Nous prenons notre petit déjeuner en profitant d’une vue sur l’ensemble du site, avec la montagne derrière, le Huayna Picchu, qui semble former le nez du profil d’un homme couché se dessinant dans le lointain. La civilisation Inca étonne par sa capacité à apprivoiser un environnement hostile pour y bâtir une citadelle en parfaite harmonie avec les reliefs de la sierra. Elle dérange aussi par sa cruauté et les sacrifices d’enfants anesthésiés à la chicha, boisson alcoolisée à base de maïs. Elle surprend par sa capacité à transporter et ajuster des pierres énormes sans mortier pour construire ses temples grâce à des techniques astucieuses, à gérer et canaliser l’eau qui ruisselle dans de petits canaux taillés dans la pierre qui parcourent l’ensemble de la cité. Pourtant, ne connaissant ni la roue, ni l’écriture, les Incas affichent un retard flagrant sur le reste du monde à la même époque. Chaque civilisation a ses grandeurs et ses failles, évaluées avec le recul du temps qui fait son œuvre.

Nul ne saura jamais ce que serait l’Amérique latine aujourd’hui sans l’invasion Espagnole, détruisant un peuple et une culture au nom de la convoitise la plus vile. Les uns travaillaient l’or comme symbole du soleil dont ils se considéraient les enfants, les autres ont fondu toutes les pièces d’art en lingots pour s’enrichir. La population du Pérou a été divisée par 6 et réduite en esclavage, soixante ans après les ruses de Pizzaro ayant permis à 171 conquistadores de vaincre le plus grand empire andin.

La promenade au sein du Machu Picchu est une plongée au cœur de la vie des incas. On imagine ici ou là des paysans sur les cultures en terrasses, des ouvriers payant leur impôt en taillant des pierres, des prêtres aux costumes flamboyants, l’aura de l’Inca et des enfants qui courent dans les ruelles. Les pierres taillées au millimètre et installées sur les parois vertigineuses à flanc de falaise, les ouvertures trapézoïdales caractéristiques, les terrasses en étage donnent au site une originalité incontestable dans un paysage grandiose. Les nuages qui s’accrochent au site ajoutent une touche de mystère aux places et rochers sacrés qui entourent le temple du condor. Malheureusement, « el condor » ne passe plus guère dans les parages, le plus large oiseau du monde s’étant retiré plus haut dans les montagnes. Nous redescendons par le sentier piéton bordé de nombreuses variétés d’orchidées sauvages avant d’atteindre le torrent tumultueux du fond de la vallée qui nous ramène à Aguas Calientes.

On n’entend guère de musique péruvienne ici, à croire que les musiciens péruviens sont tous sur le vieux port de Marseille ou les couloirs du métro parisien. Pourtant, ce soir, de l’autre côté de la rivière, une musique s’élève portant le son d’une quena, la flute traditionnelle du Pérou, et du charango, petite guitare andine. En fait, la musique sort d’une sono portative. Devant celle-ci, sur le large trottoir, une dizaine d’hommes dansent en passant d’un pied sur l’autre tout en se frappant la poitrine dans une sorte de geste rituel. Ils sont en habits ordinaires, formant deux lignes, alors qu’un maitre de cérémonie rythme la danse avec une percussion. Certains ont les mains dans les poches, d’autre semblent y mettre plus d’enthousiasme. Deux enfants à côté s‘essaient au hip-hop, avant de reprendre la danse de leurs aînés. Puis soudain, la musique s’arrête brutalement : plus de courant. Qu’importe, après deux minutes de flottement, le leader reprend la mélodie en sifflant, et la danse reprend.