Voyageant avec deux enfants de 5 et 7 ans, la question de l'école et des jeux se pose. Comment les enfants des 4 coins du monde sont-ils instruits ? dans quel types d'écoles ? A quoi jouent-ils à la récréation, chez-eux ou dans la rue ? Cette rubrique s'adresse aussi à l'école des Passons où sont scolarisés Titouan et Estéban; et permet de garder le contact avec les copains à travers un thème qui les rassemble : comment vivent, apprennent et jouent les enfants du monde ?
Ecole à deux vitesses en Inde
DATE : 24 NOVEMBRE 2012
Situation : Delhi, Inde
Dans un petit village nommé Chanda Madau situé dans le Rajansthan, entre Bikaner et Delhi, nous nous arrêtons au bord de la route. Quelques vaches broutent les ordures à côté de la voiture, ainsi sous bonne garde. Nous traversons la route pour visiter l’école située en face. Dans une pièce sans porte, plutôt petite et sombre, une quarantaine d’enfants sont serrés les uns contre les autres en rangées, assis par terre sur une couverture. Quelques uns ont un cartable à côté d’eux. Ce sont les enfants de la maternelle de l’école publique du village. Une enseignante est assise sur une chaise en plastique constituant l’unique mobilier de la classe silencieuse, certainement à l’écoute d’une leçon. Derrière elle, un tableau noir est peint sur le mur pour recevoir quelques traces de craies. Les enfants nous regardent surpris et l’enseignante s’enfonce dans un renfoncement d’où nous ne pouvons la voir. Des hommes nous abordent alors et proposent de nous faire visiter l’école. Dans une pièce similaire, des enfants en inter-cour lisent sagement des manuels d’anglais. En pénétrant sous le porche, nous découvrons une petite cour bordée de préaux servant aussi de salle de classe pour des enfants plus grands (correspondant au collège chez nous). La même couverture rouge sert à la fois de chaise et de pupitre et la même peinture murale fait office de tableau noir gardant les traces d’une leçon d’anglais. L’uniforme est de mise, mais la règle semble ici appliquée avec souplesse.
Une nouvelle salle, plus vaste, accueille une vingtaine de lycéens, installés de la même façon que les plus jeunes, mais avec des cartables plus conséquents. La même peinture sert de tableau de moins en moins noir au fil des leçons. Nous distinguons des cahiers de maths et d’anglais. Les professeurs nous invitent à faire des photos après un accueil à l’ancienne des élèves se levant et prononçant les salutations d’une même voix. Les professeurs parlent un anglais plutôt pauvre et la communication n’en est pas facilitée, malgré un accueil sympathique.
Nous découvrons ici une école réduite à sa plus simple expression : une classe et un enseignant. Cette école dispose toutefois de locaux, même sommaires. Pour bénéficier d’un enseignement de qualité, il faut passer par une école privée et payante. Les plus pauvres se contentent d’une école publique telle que celle que nous visitons, dépourvue de moyens et de tout matériel pédagogique. Les parents doivent toutefois payer l’uniforme et les fournitures, ce qui reste difficile pour les plus démunis vivant sous le seuil de pauvreté (42% de la population). Un enfant qui va à l’école, c’est de la main d’œuvre en moins, surtout en ce qui concerne les filles. Celles-ci représentent un poids énorme pour la famille qui devra s’acquitter de la dote pour son mariage. Comme elle va ensuite vivre dans la famille de son mari, elle représente une perte sèche, d’où l’idée de l’exploiter avant son départ. D’autre choisissent la voie plus radicale de l’infanticide, ce qui explique le déséquilibre hommes-femmes en Inde. Ce système de dote n’a plus pour lui les faveurs de la loi, mais persiste fortement dans une Inde attachée à ses traditions où le mariage d’amour n’existe quasiment pas.
Une loi datant d’avril 2010 impose désormais une école gratuite et obligatoire pour tous les enfants de 6 à 14 ans. Autant dire que son application sera longue à venir. Notre parcours en Inde nous a montré autant d’enfants en uniforme déboulant au coin d’une rue que d’enfants au travail (sur les marchés, dans les champs ou les commerces, mendiant près des sites touristiques). D’autres sont désœuvrés et vaquent simplement à leur aspirations d’enfants, sans prise en charge de la part des adultes. Les plus démunis restent toutefois les enfants des rues, sans famille et sans logis, exécutant quelques numéros de cirque pour glaner de maigres roupies aux passants, ou s’organisant en bandes. Au bord de la rivière Yamuna, à Agra, nous avons vu un groupe d'enfants occupés à confectionner des galettes de bouse de vache séchée, servant de combustible. Peut-on offrir pire destin à des enfants d’âgés de 5 à 10 ans ?
Plus de 60 millions d’enfants, soit l’équivalent de la population française, ne bénéficient d’aucune scolarité. Si le gouvernement parle de 8 millions, d’autres source vont jusqu’à 90 millions. En Inde, on ne sait jamais vraiment, malgré le nouveau système de recensement mis en place par le gouvernement, notamment pour lutter contre la corruption, plaie qui gangrène ce pays pourtant plein de ressources. L’Etat de l’Uttar Pradesh passe pour le plus corrompu, et aussi, sans surprise, pour le plus pauvre.
Les plus riches bénéficient d’une éducation de qualité (en anglais) et les écoles rivalisent sur ce terrain. Partout, des affiches publicitaires, peintes sur les murs ou dans les journaux, vantent les mérites de telle ou telle école. Mais avec une population principalement rurale et analphabète (une femme sur deux, un homme sur quatre), la distance et l’intérêt des parents représentent des freins importants à la scolarisation des enfants. Comment payer le transport ou un internat quand on vit (comme 70 % de la population) avec moins de 2 dollars par jour ? La plupart des enfants recevront donc un enseignement de mauvaise qualité (manque de moyens matériels, manque d’enseignants qualifiés, absentéisme important de la part des enseignants, estimé à 25 %) au niveau primaire. Les gens que nous interrogeons ici sont unanimes dans leur discours : « à l’école publique, on n’apprend rien ». Nous avons eu la chance de rencontrer un enseignant d’une école publique d’Udaipur, niveau collège. Il restera discret, voire gêné par nos questions, mais évoquera la difficulté de « tenir » une classe quand on est seul face à 70 adolescents ! Il est vrai qu’il faut une sacré dose de foi pour enseigner dans les conditions que nous avons observées.
La distance entre la priorité du gouvernement envers l’éducation et la réalité semble infranchissable et il faudra certainement de très nombreuses années avant que chaque enfant reçoive ici la chance de construire son avenir. Pourtant, une amélioration sensible du taux d’alphabétisation montre les efforts entrepris dans ce domaine. Reste une fracture importante entre riches et pauvres, reflet d’une Inde à deux vitesses où la majeure partie de la population continuent de vivre au moyen-âge.
Pour aller à l’école, tout les moyens sont bons : a pieds, en rickshaw, en school van ou en school bus. Une ancienne photo montre même un « school camel », mais nous n’aurons pas l’occasion d’en croiser.
Côté jeux, ce même contraste est saisissant. Les publicités à la télévision montrent des enfants évoluant dans des conditions de confort et de jeux similaires à celles de l’occident. Ils accèdent à une vaste gamme de jouets. Dans les villes et villages du Rajasthan, nous n’avons vu qu’une offre très réduite de jouets en plastique sans grande valeur. Règne alors la débrouille et l’imagination. Des enfants d’un village du désert nous montrent avec fierté leur chameau en fil de fer. Un autre déambule au volant de sa « voiture », constituée de deux roues en fil de fer reliées à un volant. Faire tourner une roue au bout d’un bâton est également un jeu universel auquel s’adonnent quelques enfants d’ici. Il s’agit pour eux de jouer sans jouets, sans supports si propices au développement de l’intelligence chez le petit enfant. Il est vrai qu’il ne faut pas grand-chose pour s’amuser et Titouan et Estéban en feront l’expérience en partageant des jeux simples avec deux petites indiennes. Du moins en campagne, là où l’on peut courir et s’amuser avec les éléments naturels qui offrent autant d’occasion de jouer. En ville, des enfants marchant nus pieds dans les ordures qui jonchent le sol ne semblent guères épanouis dans leurs habits crasseux, ayant perdu trop tôt cette flamme d’innocence qui illumine le regard.
Côté sport, le criquet règne ici comme le foot chez nous. Partout où nous passons des enfants ou des plus grands s’adonnent à ce sport qui soulève un engouement national. Sur un terrain vague, ou une place de la ville, une batte et une balle suffisent à reconstituer les exploits des idoles des grandes équipes.