Nous travaillons tous les deux dans le domaine du handicap, alors cette question nous taraude. Quel que soit le niveau de développement des pays du monde, le handicap touche environ 10 % de la population, pour des raisons différentes. Mais qu'en est-il des pratiques sociales face au handicap dans les pays que nous traversons ? Comment est-il pensé, vécu, accepté ou rejeté ?
Terrain miné au Cambodge
Manu -
DECEMBRE 2012
Situation : Siem Reap, Cambodge
Le handicap au Cambodge présente une visibilité importante, séquelle d'une guerre civile qui a déchiré le pays et de l'infamie des Khmers rouges. Des mines antipersonnelles ont été disséminées à travers tout le pays, et malgré les campagnes de déminage, elles continuent de faire des victimes parmi les paysans et leurs enfants.
Les mines antipersonnelles ont la caractéristique de ne pas tuer, mais de mutiler les victimes. Cette technique de guerre utilisée depuis le moyen-âge en Chine, améliorée et développée depuis, vise à affaiblir l’ennemi plutôt que de le tuer, les personnes mutilées constituant alors un poids pour celui-ci. Le Cambodge fait partie des quatre pays les plus infestés et on y compte environ une mine pour deux habitants. Ces armes ont conduit à l’amputation de 35 000 personnes après la fin du conflit et ont été largement dénoncées par la communauté internationale du fait qu’elles tuent ou blessent, même en temps de paix, des enfants et des civils ayant pour seul tort de s’amuser ou de cultiver leur champ. Une convention internationale datant de 1997 signée par 157 pays en interdit désormais l’usage et la production. 190 millions de mines antipersonnel ont été fabriquées entre 1968 et 1993 et continuent de blesser ou mutiler enfants et civils (à 71 %), dans plus de 88 pays, au rythme d’une personne toutes les 20 minutes. C’est l’outil idéal de création aveugle des handicaps. Le traité d’Ottawa qui interdit leur utilisation a été ratifié en 1998 par la France qui à procédé à la destruction de ses stocks le 20 décembre 1999 (source : Vers une cartographie des mines antipersonnel dans le monde, Jasmine DESCLAUX-SALACHAS, les actes du GIG 2000, Géographie et santé).
En ville, de nombreuses personnes handicapées proposent à la vente des livres ou autres produits en précisant bien qu’elles ne mendient pas, mais qu’elles tentent de gagner leur vie (« I don’t beg, I want to work » précise un panneau). Pourtant, cela reste une façon de dire le handicap qui, décidément, ne s’efface pas aussi facilement qu’on le voudrait.
On croise aussi des personnes trisomiques, tel celui qui invite, avec toute l’ostentation possible, les passants à un « fish massage ». Ce massage des pieds par des poissons est très en vogue à Siem Reap. Sa famille devant tenir un magasin, il participe activement à la marche de la boutique, avec son style bien à lui. Aux temples d’Angkor, on peut croiser des groupes de musique dont la musique locale sur des instruments traditionnels enchante les bois. En y regardant de plus près, ces musiciens présentent tous la particularité d’avoir un handicap. Leur musique vise à soutenir la participation des personnes handicapées et l’intégration des enfants à l’école. Une bonne façon de joindre l’utile à l’agréable.
À la campagne, une mutilation compromet la participation de la personne aux travaux agricoles qui sollicitent beaucoup le corps. Le bricolage de prothèses rudimentaires permet alors de ne pas perdre complètement sa place dans la communauté. La prise en charge du handicap reste balbutiante au Cambodge et des ONG sont venues ici suite à l’ouverture des frontières pour soulager les victimes de la guerre. Parmi celles-ci, nous visitons le centre ouvert par « handicap international » à Siem Reap. Les personnes sont accueillies ici pour un programme allant de la constitution d’une prothèse adaptée à la rééducation nécessaire, pour un coût d’environ 350 $ par personne. Le matériel est ici adapté à la vie des gens avec beaucoup d’ingéniosité. Une serpette se visse ainsi à la place d’une main artificielle, permettant à la personne de couper les pousses de riz dans les champs. Les « terrains » des rééducations sont aussi prévus pour reproduire les différents types de sols et d’obstacles rencontrés dans les campagnes cambodgiennes. Il faut viser la plus grande solidité pour permettre une vie la plus ordinaire possible. Les équipements sont ainsi conçus au cas par cas. Beaucoup venant de la campagne, il faut aussi prévoir l’hébergement.
Les personnes ne payent rien, le coût étant réparti entre les ONG et l’État. Des entreprises fournissent aussi au centre gratuitement des matières premières pour les prothèses. Le principal coût est le salaire des médecins et personnels, tous Cambodgiens. Nous apprenons toutefois qu’handicap international devrait se retirer le mois prochain, laissant à l’État la responsabilité de faire tourner le centre, ce qui ne remplissait pas d’optimisme la personne qui nous a fait visité le centre. Il semble qu’il reste encore fort à faire au Cambodge. Si le nombre de victimes de mines va aller en décroissant avec les années qui passent et le déminage progressif du pays, le centre prend également en charge les handicaps congénitaux, notamment les enfants naissant avec pieds tournés vers l’intérieur, IMC ou polyhandicapés. La polio a été très présente au Cambodge, même si elle semble éradiquée en 2010 selon diverses sources. Dans le cas d'une malformation des pieds, une opération réalisée peu après la naissance permet de retrouver un usage normal de la marche, alors qu’une absence de prise en charge condamne la personne à un handicap sérieux. Un des soucis rencontrés est qu’une fois la famille retournée chez elle, les bandages et coques contraignants et gênants pour l’enfant sont retirés, annulant ainsi le bénéfice de l’opération.
On peut signaler les nombreuses initiatives en matière de handicap et la volonté des Cambodgiens en situation de handicap de poursuivre leur vie au sein de la cité. A Phnom Penh existe par exemple un centre de massage où ceux-ci sont réalisés exclusivement par des personnes aveugles. Ce sont elles qui s'attelent alors à la lourde tâche de soulager les maux des autres ! Les pousses-pousses permettent aussi aux personnes âgées ou handicapées de faire leur marché ou de se déplacer.