MONDUS VIVENDI

De Borobodur à Java est

Ce midi, poulet – riz, comme hier midi, hier soir et probablement ce soir. La découverte alimentaire ne faisant pas partie de notre programme, nous souffrons en silence. Il parait de plus en plus probable que l’inventeur du KFC ait simplement fait un voyage dans la région et remplacé le riz par des frites après avoir occidentalisé le goût. Mais ce qui nous amène ici est davantage les splendeurs que recèlent ces régions riches d’une histoire millénaire. Nous partons ce matin à la découverte de Borododur, splendeur de l’architecture bouddhiste du IX siècle, elle aussi classée au patrimoine mondial de l’humanité. Après avoir résisté à un tremblement de terre de 6,2 sur l’échelle de Richter en 2006, le site a été recouvert d’une épaisse couche de cendre suite à l’éruption volcanique du mont Mérapi, en 2010. Un travail important de nettoyage et de restauration a été réalisé par les populations locales avec l’appui de l’UNESCO.

C’est épuisés par un voyage en transport local que nous arrivons deux heures plus tard à Borobodur : après une demi-heure de marche dans Jogja, nous empruntons le trans-Jogja qui nous conduit au « bus terminal » d’où une épave sortie d’un autre monde nous conduit à travers la jungle urbaine à proximité du site. On roule porte ouverte, ce qui permet aux gaz d’échappement d’envelopper les passagers transpirant leur soul sur ce qui reste des sièges d’origine. Les freins couinent comme un cochon qu’on égorge à chaque fois que le chauffeur évite de justesse un autre véhicule, c'est-à-dire toutes les deux minutes. Du moins, cela prouve-t-il qu’ils fonctionnent encore ! On peine finalement à imaginer qu’un tel véhicule puisse avoir été neuf un jour. Au fil du chemin, des gens font signe et montent rapidement. On s’attend à tout instant à voir monter une chèvre, mais l’aventure n’ira pas jusque-là. Un Becak nous permettra de rejoindre finalement le temple, après avoir utilisé les toilettes que l’on nous indique à la station de bus : en fait, nous pénétrons dans une habitation où celles-ci sont placées, coutume internationale oblige, au fond du couloir à droite. La chasse d’eau est au baquet, ce qui se révèlera très courant à Java. Petit couloir, petite chambre, petite maison, toute en vétusté. Nous partageons davantage de cette façon le quotidien des Indonésiens. Enfin, nous appréhendons quand même le retour. Titouan qui est enrhumé et affaibli commence à peiner.

Autant le trajet fut pénible, autant le site de Borobodur est fascinant, original, et rempli d’émotion. La partie basse recèle de nombreux bas reliefs et des Bouddhas pour la plupart décapités. On visite le site de façon circulaire, le temple toujours sur notre droite, selon l’usage. La partie haute offre un panorama sublime et présente des stupas en forme de cloche, contenant chacun une statue que l’on aperçoit à travers les losanges pratiqués dans l’ajustement parfait des pierres aux mille nuances de couleur. Surplombant une vallée verdoyante que nous n’avons pas eu l’impression de traverser, le temple amène le visiteur à plus de silence et d’introspection.

Le lendemain, à 7 h 15 du matin, le carillon de Big Ben résonne dans la gare, annonçant le départ de notre train pour Subaraya. Nous poursuivons notre traversée d’ouest en est de l’île de Java pour atteindre en 12 heures, deux trains et deux bus le village de Cemoro Lawang, point de départ des excursions pour le mont Bromo, un des nombreux volcans en activité de Java. Mais nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Il nous faudra nous lever à 3 h 30 du matin pour parcourir les derniers kilomètres en jeep, avant de nous engager en pleine nuit sur un sentier de sable volcanique menant au point de vue. Celui-ci permet d’apprécier le volcan dans toute sa splendeur au lever du soleil. Nous ne sommes pas seuls sur ce chemin et la poussière soulevée par les chevaux, qui montent les Chinois, créé une atmosphère suffocante. Mais les Chinois, eux, ont au moins prévu les masques à gaz, en plus des reflex derniers cris ! La pente n’est pas si raide, mais le sentier sablonneux comme une plage rend la marche difficile pour la troupe internationale qui avance tel des zombies dans la nuit pour assister à un des plus beaux spectacles que la nature puisse nous offrir. Un tel évènement se mérite, même si l’état des routes, des bus et des services à Java complique vraiment la tâche. C’est une façon comme une autre de diminuer l’affluence.

Dans la nuit, nous distinguons difficilement les formes qui peu à peu s’offrent aux regards à mesure que l’astre solaire consent à éclairer un jour encore notre petite planète. C’est tout en douceur que la lumière naissante guide nos regards dans la bonne direction où l’on distingue déjà les cônes caractéristiques des monstres sacrés, cracheurs de feu. Bromo, nom du volcan dont s’élève une fumée blanche, signifie Bramah. Il est juste à côté du mont Batok, tous deux jaillissant de la mer de sable, un paysage lunaire qui constitue le fond d’un cratère plus ancien de 11 kms de diamètre. Si cela ne suffisait pas, le mont Semeru s’élève au loin, crachant une fumée blanche par intermittence du haut de ses 3 676 mètres, le plus élevé des volcans javanais. Les regards alternent entre la beauté du lever de soleil lui-même et les effets de lumières qu’il produit sur les volcans et l’ensemble du panorama qui s’offre à nous. Le lever de soleil sur le Bromo est une expérience comparable au Grand Canyon aux USA ou à Uluru en Australie, soit une secousse émotionnelle de 8,2 sur l’échelle des grands panoramas.

Nous descendons ensuite dans la mer de sable pour gravir le mont Bromo lui-même, et jeter un bref coup d’œil à l’intérieur du cratère où un lac bouillonnant fait jaillir cette fumée blanche dans une odeur de souffre étouffante. Un temple hindou sans grand intérêt est posé là, dans ce paysage qui nous donne l’impression de marcher sur la lune, à la seule différence que l’on ne voit pas de « clair de terre » dans le ciel.