Départ prévue : le 27 novembre 2012 - Vers Bangkok, en Thaïlande
Misère et majesté
Nous rejoignons Agra en inaugurant une autoroute longiligne sur plus de 200 km. Le paysage agricole des plaines traversées ne laisse entrevoir que quelques petits hameaux en terre séchés dispersés ici et là. L’absence de relief accroît la monotonie du voyage. L’entrée dans Agra est des plus spectaculaires. Les camions viennent effleurer les meules des chameaux sous le regard passif des sangliers, dans une mélodie de klaxons laissant des vaches peintes en fluo imperturbables. Agra nous présente une Inde plus rurale où la splendeur des palais égale la misère de sa population. Le contraste est saisissant, notre émotion, certaine, est à la fois teintée d’admiration pour le faste d’autrefois et d’indignation sur la réalité d’aujourd’hui. Du pont du chemin de fer qui enjambe le fleuve Yamuna, il est possible d’avoir vue à la fois sur le Taj Mahal et sur des enfants de 5 ou 6 ans travaillant à fabriquer des galettes pour le chauffage avec la bouse des vaches. C’est aussi le lieu de la lessive, du linge qui sèche sur le sable blanc, des enfants partageant leur bain avec les bœufs ou des femmes frappant le linge contre des planches.
Dans les faubourgs, à l’écart des sites touristiques, le visage d’une jolie jeune fille devant des fleurs colorées ne peut faire illusion : elle est au travail sur un marché encombré de détritus où résonnent les hurlements incessants des véhicules de toutes sortes qui soulèvent la poussière. Passe alors un Sadhu, pèlerin recouvert volontairement de cendres, en route vers une vie meilleure. L’habitat, des plus précaires, est partagé entre humains et animaux dans une ambiance générale qui n’est pas sans rappeler des scènes du moyen-âge. Il est impossible de décrire la succession interminable de scènes de vie étonnantes qui constituent le quotidien des hommes, des femmes et des enfants qui survivent ici dans le dénuement et la saleté.
Un monument parmi les plus spectaculaires du monde règne sur ce monde hétéroclite. Au bord de la Yamuna qui traverse Agra se dresse le Taj Mahal, hymne d’amour de l’empereur Moghol Shah Jahan face à la mort de son épouse. 22 ans de travail, 20 000 hommes, des pierres précieuses venant de Chine ou d’Egypte, le tombeau de marbre blanc est bâti pour défier le temps grâce à un génie architectural anticipant les risques naturels.
Comme pour tous les sites historiques en Inde, les étrangers payent ici 25 fois le tarif des résidants, mais tous subissent la même fouille digne d’un aéroport. Nous visitons le site avec un guide qui saura restituer toutes les subtilités du lieu, telles sa parfaite symétrie, les nombreux effets d’optiques ou sa façon d’opposer vie et mort qui jamais ne se rencontrent. L’émotion devant le Taj Mahal est intense et le monument dégage une rare majesté. Tout est si harmonieux et équilibré, sans fioritures ni superflu. Sa couleur variant du blanc au rose selon la courbe du soleil restitue pleinement le sentiment d’éternité qui flotte autour de lui.
Son concepteur finira sa vie enfermé dans le fort Rouge d’Agra, de l’autre côté de la rivière. Ce site est lui aussi d’une magnificence digne des mille et une nuits. Différents empereurs moghols y ont vécu du temps ou Agra était la capitale du royaume.
En route 2 jours plus tard pour rejoindre le parc national du Ranthambore, nous nous arrêtons à Fathepur Srikri, autre ancienne capitale, où nous découvrons un autre palais somptueux, après avoir traversé la horde d’enfants venant vendre souvenirs et babioles aux visiteurs. Au XVIe siècle, Akbar y fit construire un palais dont l’architecture mêle les styles persans, hindous, bouddhistes et chrétiens afin de plaire à ses épouses de différentes confessions. Le symbolisme subtil rejoint ici la préoccupation de l’empereur de voir les diverses religions s’entendre et se respecter.
La mosquée toute proche abrite la plus haute porte de l’Inde avec ses 54 mètres de hauteur. C’est ici que repose le scheik Salim Chishti dans une enceinte pouvant contenir 10 000 fidèles. Le monument n’invite pourtant pas au recueillement, hormis pour ceux qui viennent ici pour voir leurs souhaits s’exaucer après avoir déposé des offrandes dans le mausolée.
A suivre...