Départ prévue : le 27 novembre 2012 - Vers Bangkok, en Thaïlande
Bazars et turbans
La route en perpétuelle construction se poursuit jusqu’au cœur de la ville de Jaipur où d’immenses piliers de béton ne semblent soutenir qu’une ancienne promesse oubliée. Les constructions semblent s’être arrêtées dans une ambiance de ville d’après-guerre qui nous laisse perplexes ! Après quelques hésitations, nous posons nos sacs dans une guesthouse à la propreté douteuse, tenue par des ados écoutant de la techno ou matant des films américains en bouclent et un peu déstabilisés par les petites demandes des occidentaux que nous sommes (avoir du PQ, où acheter du lait, …). Dans une ville de plus de 3 millions d’habitants, nulle trace d’un magasin. Il n’existe que de tout petits commerces peu fournis vendant tous plus ou moins la même chose. Des vendeurs poussent leur chariot de bois pour vendre pommes et bananes, et de nombreux légumes.
Comme dans les autres villes que nous avons visitées, les trottoirs sont jonchés d’ordures plus ou moins rassemblées en certains endroits. Le système de ramassage se décompose en plusieurs phases. Les nombreux cochons, vaches et meutes de chiens passent régulièrement s’y nourrir, suivis de femmes et d’hommes munis de grands sacs qui récupèrent ce qu’ils peuvent. De temps en temps, une tractopelle vient ramasser ce qui reste. Notre quartier est résidentiel, autant dire désertique ! Heureusement, nous sommes proches de la route menant au fort d’Amber, ce qui induit une présence hôtelière pseudo occidentale nous permettant de nous alimenter.
Au premier matin, nous partons donc vers ce fort où une horde d’éléphants, magnifiquement peints et décorés, attend les touristes peu enclins à gravir le petit dénivelé permettant de rejoindre l’enceinte du fort. Les enfants sont heureux de voir pour la première fois ces pachydermes au rythme lent dont la présence dans l’enceinte du fort évoque le mythe exotique de la vie des Maharadjas. Le palais est sublime et la visite dans les nombreux dédales des constructions au son des luths et des poongis (flûte des charmeurs de serpents) enchante les sens. Nous sommes au pays des turbans dont les subtilités de tailles, de couleurs et de nouages rythment la vie sociale. Par le passé, il ne pouvait y avoir de pire humiliation que d’enlever son turban à un homme. Si la tradition tend à se perdre, les femmes en revanches sont toutes vêtues de saris aux couleurs flamboyantes ou plus discrètes. Ceux-ci prennent pourtant la couleur de la terre pour ces nombreuses femmes que nous croisons, parfois âgées, travaillant sur les chantiers, charriant le sable ou le ciment dans les écuelles portées sur la tête.
La condition des femmes, des personnes âgées ou handicapées n’a rien d’enviable dans un pays où n’existe aucune protection sociale et qui rassemble en son sein 20 % des personnes les plus pauvres de la planète. La façade en grès rose du palais des vents (hawa mahal) abrite de toutes petites fenêtres et ouvertures qui permettaient aux femmes, riches, mais recluses, d’assister au spectacle de la rue. Malgré l’abolition officielle de la dot, la très grande majorité des mariages restent arrangés et coûtent une fortune aux parents de la mariée que le mari ne découvrira qu’une fois nuit tombée. Trop tard pour faire marche arrière. Nous comprenons mieux pourquoi les gens ne cessent de nous dire que nous avons de la chance en nous voyant avec deux garçons. La pratique du « sati » (la femme se jetant dans le bucher de son mari) n’a peut-être pas encore disparu dans l’Inde profonde, là où les femmes rajpoutes étaient brulées vives en cas de défaite pour échapper à tout déshonneur !
Toute la variété de l’Inde se déploie dans les bazars qui s’étendent indéfiniment dans les ruelles de Jaipur. Épices, droguerie, cahiers de comptes, câbles électriques, teintures, pierres précieuses, tissus, chacun a sa spécialité. Des hommes sont mi-étendus sur des matelas à l’entrée de leur magasin, quand des clients attendent la réalisation de leurs bijoux confectionnés sur place. On travaille aussi dans la rue, sur le trottoir sans frontières nettes entre vente et confection. Nous en profitons pour acheter un cahier neuf, c’est-à-dire sale et déchiré, mais bon marché ! Au détour d’une ruelle, un trou dans la façade abrite une femme totalement dans l’ombre, versant de l’eau avec une bouilloire aux passants souhaitant se désaltérer ou se rafraichir le visage. Cette balade loin des magasins d’articles touristiques est très instructive bien qu’éprouvante, surtout pour les enfants qui, outre le stress habituel de l’environnement indien et un cocktail d’odeurs détonantes, subissent des pincements de joues ou de bras par des mains sorties de nulle part au milieu de l’agitation frénétique.