MONDUS VIVENDI

Diwali

Nous serpentons à travers des paysages montagneux pour rejoindre Ranakpur le soir de Diwali, grande fête où l’on décore les maisons de colliers de fleurs et de bougies. C’est aussi l’occasion d’un impressionnant concert de pétards jusque tard dans la nuit. Autour de nous s’étend une nature préservée où trône un lac aux eaux limpides offrant ses reflets aux collines verdoyantes et aux nuages. Le paysage est enchanteur au tombé du jour quand les oiseaux planent au raz de l’eau.

Nassim nous accompagne en balade et facilite une rencontre pleine d’émotion avec une famille vivant au bord du lac dans une cabane bricolée avec des branchages et des feuilles. Deux adolescentes, dont une est enceinte, s’occupent des plus jeunes. Ils souhaitent poser pour la photo et nous invitent à découvrir l’intérieur de leur case. Le dénuement d’une vie simple au cœur de la nature n’est pas sans nous rappeler les Orangs Asli de Malaisie. La rencontre est joyeuse, tranquille. Les jeunes filles portent une tenue soignée et une parure de bijoux et piercings sophistiquée. Le piercing au nez est courant au Rajasthan avec parfois des anneaux de 3 ou 4 cm qui recouvrent la bouche.

Touché par l’absence de jouets, hormis un pistolet en plastique claquant des pétards que manipulait un des garçons, Titouan souhaitera y retourner le lendemain pour offrir quelques-uns de ses jouets pour Diwali à ces enfants. Un peu gêné, il va au bout de sa démarche, donnant son petit sac à la maman qui l’accueille avec joie.

En route pour Jodhpur, Nassim nous arrête à un resto pour touristes rempli d’Occidentaux. Ce n’est pas vraiment le genre d’endroits que l’on aime, mais bon, il y a quelques spécimens intéressants, genre homme bedonnant avec la chemise rayée bien enfoncée dans le minishort rouge prenant en photo un banc en forme de chameau. La scène est grotesque et nous dissertons sur l’image que nous renvoyons aux gens des pays que nous traversons, certainement surpris de nos bizarreries.

On retrouve à Jodhpur les joies et peines des villes indiennes où l’on se perd autant dans le dédale des ruelles que dans le flot d’une agitation incessante. La « ville bleue », ainsi nommée du fait des nombreuses habitations se drapant de cette couleur réputée pour éloigner chaleur et insectes, est dominée par le fort de Mehrangarh qui fût le siège du pouvoir rajput pendant cinq siècles. La forteresse imprenable révèle des détails d’une histoire riche. Les grandes jarres à l’entrée contenaient le vermillon dont les femmes destinées à périr avec leurs maris sur le bucher s’enduisaient les mains. Le dernier sati royal ayant eu lieu ici au milieu du XIXe siècle. De nombreux palanquins servaient à transporter les maharadjas à dos d’éléphants ou à mains d’hommes. La ville était alors une plaque tournante du commerce de l’opium et la capitale des épices. Mohamed nous recevra dans sa boutique, nous enivrant de toutes les senteurs de l’orient avec les détails de leurs utilisations culinaires. Nous goutons sa spécialité, le « thé sans thé », mélange de cannelle et autres saveurs. Un commerçant du marché me débite un nombre impressionnant de villes françaises vers lesquelles il exporte safran, curry, massala, chili, henné, et autant de thé parfumés. Il m’explique que l’Inde produit 50 variétés de riz et 25 de lentilles, ainsi que de nombreux légumes exotiques. Question fruits, on ne trouve pas grand-chose en dehors des pommes et des bananes qui se promènent à longueur de journée sur de vieilles charrettes usées, suivies d’un nuage de moucherons.

Curieusement, sur le marché, les vendeurs d’épices sont aussi l’endroit pour trouver shampooing, savons et autres produits de toilette. Pour le miel, il faut aller à la « pharmacie ». Après une quinzaine de boutiques et quelques kilomètres, je réussis à rassembler les quelques produits que j’avais pour mission de ramener. La navigation dans le bazar nécessite de mettre à profit 40 ans d’expérience de bipède urbain pour sortir des embouteillages dans les ruelles où même les piétons sont bloqués dans l’enchevêtrement de motos, de vaches et de rickshaws. Chacun forçant le passage, il arrive un moment où les véhicules venant des quatre directions forment un puzzle indémêlable dans un hurlement de klaxons ininterrompu. Sur le mélange de boue, de crachats, d’ordures et de bouses qui sert de revêtement, des gamins détalent nus pieds, là où l’on hésite à poser nos chaussures, ou jouent au criquet, le sport national, avec quelques chèvres pour seuls spectateurs.

Au détour, un orchestre de cuivres et tambours bat le rappel devant une mosquée. De nombreuses personnes handicapées sont rassemblées ici. Un jeune distribue de la nourriture vers laquelle se précipitent des sacs plastiques affamés. Sa gamelle sera vite vide, sans pouvoir pallier à la pauvreté qui règne partout. On faisait remarquer à Mère Theresa, dont l’action est loin d’avoir été accueillie avec enthousiasme en Inde, qu’elle n’était qu’une goutte d’eau dans un océan de misère. Elle répondit : « oui, mais cette goutte d’eau, si elle n’y était pas, elle manquerait » ! De son  côté, le gouvernement anglais annonce aujourd’hui qu’il va cesser toute aide humanitaire en direction de l’Inde, étant donné la forte croissance de ce pays. L’optimisme de l’occident envers l’Inde est peu compréhensible pour qui parcourt le Rajasthan loin des hôtels de luxe et des palais d’antan. Le système des castes à beau avoir été aboli officiellement, le déterminisme social reste en inde, comme dans tous les pays en voie de développement, très présent. Les gens des campagnes que nous croisons ici ne parlent pas un mot d’anglais et l’accès à une scolarité reste un vœu pieux pour les 42 % d’Indiens vivant sous le seuil de pauvreté (selon la banque mondiale).