Départ prévue : le 27 novembre 2012 - Vers Bangkok, en Thaïlande
Bikaner en miniature
Soyons honnêtes, nous ne sommes pas des amateurs d’art et même si nous aimons flâner dans les musées, nous restons néophytes. Bikaner, ultime grande ville avant notre retour sur Delhi, est le haut lieu de la miniature. Ici, les œuvres sont minuscules, mais d’une qualité artistique reconnue. La ville n’ayant pas un grand intérêt, nous décidons de pousser la porte d’un atelier. Quelle belle initiative ! Nous n’avons pas encore fini d’investir le lieu que déjà nous sommes charmés. Le calme qui règne ici est à lui seul une œuvre. Nous sommes accueillis par un jeune homme à la voix douce et posée. Nous nous installons face à lui afin qu’il nous explique la complexité et la beauté de son art. Derrière nous, un homme prie devant les œuvres représentant Shiva et Ganesh, bien qu’il soit de confession musulmane. La douce mélodie des soutras amplifie la quiétude du lieu. Qu’il est bon de sentir une énergie aussi positive et sereine !
Les pinceaux utilisés sont en poils d’écureuil et les couleurs sont issues de pigments naturels tels que le safran, le cumin ou la fleur d’indigo. Qu’il soit composé d’os ou de cuir de chameau, de papier ancien ou de carte postale d’avant-guerre, le support participe pleinement à l’œuvre. Notre hôte, issu d’une famille d’artistes depuis plusieurs générations, nous dévoile son talent en peignant rapidement un paysage sur l’ongle de Titouan.
L’observation à la loupe nous révèle un dessin précis comportant les noms de Titouan et d'Estéban. La précision est microscopique. Le père de l’artiste a tenu le record de la plus petite peinture pendant de nombreuses années et certaines de ses œuvres sont toujours exposées à Berlin. Le talent est ici indéniable et même si le peintre nous dit qu’il suffit de pratiquer, nous restons intimement convaincus que ces artistes sont touchés par un don particulier qu’eux seuls maitrisent, avec patience et persévérance. Nous admirons l’ensemble de la galerie et je serai séduite par un éléphant ! Nous repartons avec notre œuvre d’art miniature et un souvenir heureux de cette rencontre. Titouan est fasciné et dès notre retour à l’hôtel, il s’exerce avec patience à l’art d’écrire et de dessiner en tout petit, attentif aux détails de sa production. Les vertus pédagogiques du voyage sont incomparables et réduire la taille des lettres ne devrait plus être un combat !
Après une visite décevante dans une « camel farm » vide, nous arpentons les rues de Bikaner. Au détour d’une allée isolée, nous tombons sur un spectacle étonnant. Sur une placette couverte de bâches, de vieilles machines à écrire sont disposées sur des tables. Les écrivains publics remplissent ici les formalités administratives et judiciaires des populations analphabètes, soit en Inde, une femme sur deux et un homme sur quatre. Une loi rendant l’école gratuite et obligatoire de 6 à 14 ans a été votée en 2010, mais dans la situation actuelle, son application reste illusoire pour la moitié pauvre du pays. Nous aurons l’occasion de visiter une école publique dans le village de Chanda Madau. Dans une petite pièce, les enfants de maternelle sont assis en ligne sur le sol au pied d’un tableau noir peint sur le mur. L’école accueille différentes classes d’âge, tous assis sur le sol, en uniforme, dans les mêmes conditions. Seuls les maîtres disposent d’une chaise en plastique constituant l’unique mobilier de toute l’école (voir les photos et l’article sur l’école dans la rubrique « école et jeux »).
En route vers Delhi, nous faisons halte pour une nuit dans un fort situé dans un petit village, ancien centre d’un petit royaume indépendant. Le père de l’actuel propriétaire a signé l’admission de celui-ci dans l’Inde en 1952. Nous vivons un rituel d’accueil au cours duquel notre front sera enduit d’un point rouge, avec quelques grains de riz qui s’y collent, symboles de prospérité. Notre chambre est un voyage en soi avec ses peintures d’époque non restaurées et son mobilier, restés tels quels depuis 300 ans. Malgré les draps défraichis et déchirés, dans un décor on ne peut plus authentique, nous goûtons au décorum des anciens maharadjas qui vivaient ici. Les coussins traditionnels sous de petites arcades sont propices à la quiétude ou aux jeux des enfants. Avec ses vieilles portes en bois, ses multiples peintures et ornementations, l’ensemble dégage une atmosphère d’ancien temps. Pour la douche, on nous fournira un seau d’eau chaude. Les 350 serviteurs et 250 chevaux qui animaient la demeure ont disparu et il ne reste ici qu’un vieux fort fatigué offrant une étape pittoresque aux touristes de passage.
Nous rentrons vers la capitale après un parcours de près de 4 000 kms à travers le Rajasthan. Les routes révèlent au matin leur lot de camions renversés, d’animaux écrasés et de cadavres (y compris un humain), en décomposition sur le bord de la chaussée. Les chameaux, buffles, chèvres, singes, chiens, vaches et moutons déambulent librement sur les routes où nul code ne semble régler la circulation. Sur l’arrière des camions se dessine en grosses lettres le message "blow horn" ou « horn please » (klaxonnez, SVP). Ce qui la première fois nous est apparu comme une bonne blague est en fait une modalité de la conduite en Inde. Le stoïcisme des vaches au milieu de la chaussée, frôlées de près dans les deux sens par des camions colorés transportant de gros blocs de marbre, est un modèle du genre. La panoplie des véhicules et animaux qui partagent la route est impressionnante, chacun risquant sa vie à son propre rythme. Des chameaux, bœufs, ânes ou tracteurs y tirent des remorques dont le chargement de grains déborde de toutes parts ; des bus fatigués remplis d’humains agrippés comme ils peuvent au véhicule ; des autorickshaws plus délabrés les uns que les autres avancent à pas lent, doublés par des motos elles-mêmes doublées par des voitures. La notre se faufile, évite les crevasses, les chicanes, dérape sur le sable, mais nous conduit à bon port avec l’assurance d’un chauffeur expert.