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Pensées vagabondes

Un voyage autour du monde est l'occasion d'étonnements et de refléxions. La rubrique "pensées vagabondes" est ici pour partager la dimension philosophique de notre aventure. Les évenements, monuments et situations rencontrées sont prétexte à des articles sur nos regards et sur nos vies, sur l'Homme et toutes ses bizzareries...


A qui la terre ?
Manu - avril 2013
Situation : Cusco, Pérou

Le voyage confronte aux rencontres successives de diverses modalités d’occupation du sol, en lien avec la topographie des lieux, les cultures, l’économie, l’histoire, etc. Aux extrêmes de cette diversité, il y a des peuples indigènes occupant une vaste portion d’espace naturel pour une population réduite ; et les concentrations urbaines où s’entassent des millions de gens avec une densité incroyable. La seule ville de Delhi, en Inde, concentre autant d’habitants que l’Australie et la Nouvelle-Zélande réunies.


melbourneLes gratte-ciel ont ceci de particulier que les milliers de personnes qui y demeurent ou travaillent, quant à l’occupation d’une portion de terre, sont tous localisés au même endroit. En ce sens, les villes font le bonheur de la Terre en concentrant la surpopulation humaine dans des espaces relativement réduits. La nature y à certes perdu tous ses droits, mais les retrouve d’autant plus ailleurs. Certains vivent leur vie entière dans les dédales de béton et de ferraille alors que d’autres ne connaissent que les bruits de la forêt qui les protège et les nourrit. Entre ces deux pôles, un idéal pourrait se dessiner où les espaces urbains resteraient reliés aux espaces naturels, notamment en limitant leur expansion géographique et démographique. Une ville et une nature « à taille humaine », c’est-à-dire tenant compte de ce qu’Edgar Morin appelle la « nature culturelle » de l’homme. En effet, il y a fort longtemps qu’il n’y a plus de « sauvages » sur Terre. Même les peuplades les plus reculées s’inscrivent dans une culture. Le cerveau et le corps de l’homme sont prédisposés naturellement à accueillir une culture donnée, ne serait-ce que par la capacité du nouveau-né à acquérir, en quelques années seulement, une des productions les plus complexes de la nature : le langage.


campementLes espaces naturels sont depuis toujours, non seulement le lieu d’épanouissement de la vie humaine, mais aussi l’objet d’une appropriation culturelle. Cette dernière définit notamment les modalités de l’habitat et les droits d’occupation du sol en lien avec les catégories sociales (qui ont émergé très tôt dans le développement de l’espèce humaine). À quel moment les différents groupes humains ont-ils commencé à guerroyer pour s’approprier les meilleurs endroits ? La question reste controversée, mais, semble-t-il, assez tard. La faible densité de l’espèce humaine et un mode de vie nomade permettent à tous de pourvoir à leurs besoins. La modalité première de gestion de l’espace est ainsi le partage provisoire par un groupe humain de taille modeste d’un espace nécessaire à sa survie. La question de la propriété ou de la légitimité à être ici plutôt qu’ailleurs ne se pose pas. L’homme habite là où la vie est possible.


La révolution néolithique, avec la sédentarisation progressive de populations de cultivateurs, change la donne et coïncide avec l’éclosion de civilisations plus denses à tout point de vue. Est-ce à ce moment qu’il faudrait situer le poseur de clôtures de Rousseau et l’émergence de la propriété privée ? Si l’espace social connait déjà des cloisons étanches entre le profane et le sacré par exemple, entre les lieux qui ont du sens et les autres, qui appliqua le premier le principe d’une appropriation par un individu d’une portion d’espace auparavant partagée entre tous ? Qui se posa le premier la question : a qui la terre ?

« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. »

Rousseau, L'origine de l'inégalité parmi les hommes(2e Discours, seconde partie) 


propriété privéeLa question même, « à qui la terre ? », pourrait paraître absurde à ceux pour qui elle ne se pose pas. Les oiseaux franchissent encore les frontières sans trop se poser la question du droit qu’ils ont à être là où ils sont. Ils passent d’un jardin à l’autre sans y penser. L’Homme a vécu ainsi lors de ses migrations à travers les continents. L’homme n’a plus cette liberté : il appartient à une société qui consent à ce qu’une portion de terre lui appartienne en retour. Quel échange, quand on y pense !


Le droit international a aujourd’hui consacré l’existence des États dont le principe, malgré les remaniements ponctuels et les guerres de frontières, n’est plus remis en cause. La nationalité et les droits afférents offrent aussi une appartenance et des devoirs. Mais certains peuples, vivant retirés dans les forêts, échappent à ce principe de droit international. Ce monde moderne s’est construit sans et loin d’eux. Les Orans Asli vivent ainsi au cœur de la plus vieille forêt primaire du monde, au cœur de ce qui un jour est devenu « la Malaisie », puis le parc National Taman Negara. Par respect pour ce mode de vie hérité de la nuit des temps qu’ils souhaitent conserver, ils sont les seuls humains autorisés à vivre et à chasser dans le parc National.


La question de la propriété privée ne se pose pas dans ce cas de cultures où l’usage ancestral d’un espace justifie à lui seul son utilisation actuelle. L’usage a force de loi. singe tristeLe principe possédant n’est plus l’argent, l’acte notarié ou le pouvoir, mais l’utilité, l’usufruit sans autre emprise sur la terre, qui n’appartient qu’à elle-même. La terre n’est pas à vendre, mais les hommes se la partagent, se l’arrachent et se la monnayent. La grande majorité des « peuples premiers » vivant sur terre ont été spoliés de leurs terres légitimes (au nom du premier principe, l’usage) par des peuples venus d’Europe fonctionnant sous un autre principe, la propriété, et avec elle le droit, la force, l’exploitation intensive des ressources. La migration devient immigration à mesure que les hommes finissent par occuper l’ensemble des terres habitables et que se cristallisent cultures, langues, usages.


Viennent ensuite guerres, colonisations, spoliations, exterminations. La primauté de l’occupation d’une terre par un groupe humain se reconnaissant comme tel est-elle un principe de justice primant sur les autres pour concéder que ce groupe puisse gérer et exploiter cette terre ? Un État n’a de légitimité que dans le fait que les autres États reconnaissent ses frontières et que sa population se juge suffisamment unie en son sein. L’unité territoriale, dès lors qu’elle est définie, est menacée autant de l’intérieur que de l’extérieur. De nombreux États sont confrontés à la question d’une portion de leur territoire pouvant être revendiqué par des groupes humains soucieux de conserver un mode de vie ancestral qui ne concorde pas et ne peut concorder avec les aborigène à Sydneyprincipes de droits qui régissent la propriété et la citoyenneté dans le monde moderne. Que l’ensemble des Aborigènes souhaite vivre à l’australienne et la question de l’occupation de terres considérées comme sacrées ne se posera plus de la même façon que s’ils vivent selon leurs coutumes. Dans les faits, la réalité est toujours plus mitigée et les peuples premiers sont tous divisés entre la volonté de ne pas se perdre dans un monde dont ils ne maitrisent pas les ressorts et où ils se fondent bien souvent dans la masse des pauvres ; et la nécessité et le souhait de s’y aventurer tout de même. Aucune transition en douceur ne peut soulager de la douleur de se perdre d’une façon ou de l’autre, sans alternative, celle que laisserait des siècles devant soi et la possibilité d’inventer sa propre voie vers une autre modernité, distincte des voies ouvertes par l’occident et la technologie.


Les vieux préservent tant bien que mal un mode de vie dont se détourne, sinon la totalité, mais au moins une partie des plus jeunes. La difficulté se pose au regard de l’intégration des peuples premiers qui, partout dans le monde, reste très insatisfaisante. Pour les Orans Asli, vivant dans la forêt pluviale, la scolarisation demanderait de longs déplacements ou de l’internat ; mais également des frais qu’ils eaune peuvent supporter avec un mode de vie sans argent (ou peu). De ce fait, la plupart des enfants vivent leur enfance sans autres contraintes que le rythme de la communauté. Comment dès lors envisager de s’intégrer comme jeune adulte dans une société qui vous est largement étrangère ? Non pas que ce peuple n’ait pas de connaissances sur le monde actuel. Mais savoir comment vivent les autres et avoir des contacts ne suffit pas à garantir une bonne intégration. Ceux qui quittent la communauté peuvent au mieux espérer de petits bouleaux en bas de l’échelle, quand il ne s’agit pas de délinquance ou d’alcool. Le choix de perpétrer un mode de vie ancestral peut s’avérer être un calcul plus judicieux, au-delà du choix de vivre ainsi par conviction.


Mais quand l’urgence économique dévore des hectares de la forêt amazonienne, les peuples premiers qui y subsistent encore voient leur habitat menacé et leurs ressources compromises. Ils n’ont aucun moyen de se faire entendre, tel un chant de moineau au milieu des bulldozers. La terre appartient-elle aux hommes qui s’arrogent le droit de piller ses ressources et de menacer son équilibre, au risque de leur propre survie ? Imbécilité diraient les descendants de ceux qui ont appris à vivre au sein d’une nature qu’ils respectent et dont ils recueillent les fruits avec justesse. Puisse le monde à venir s’inspirer de ce message : «vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne».


unisLoin du collectivisme qui a semé plus de désolation qu’autre chose dans le monde ; loin d’un capitalisme exacerbé à l’appétit insatiable ; sans espérer trouver dans un passé révolu les clés du futur ; il reste aujourd’hui à inventer une gestion plus harmonieuse, respectueuse et juste des ressources offertes par notre planète. La propriété privée est un droit et une liberté, dès lors qu’elle est suffisamment partagée et que le bien commun reste au cœur d’une gestion responsable et durable de la terre, celle qui nous porte tous.

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