Un voyage autour du monde est l'occasion d'étonnements et de refléxions. La rubrique "pensées vagabondes" est ici pour partager la dimension philosophique de notre aventure. Les évenements, monuments et situations rencontrées sont prétexte à des articles sur nos regards et sur nos vies, sur l'Homme et toutes ses bizzareries...
Confucius
Manu -
septembre 2012
Situation : entre la Chine et l'Indonésie
Entre religion et philosophie, le confucianisme fait partie intégrante de l’héritage historique de la Chine. Doctrine d’État de 136 avant notre ère à 1911, il aurait pu accompagner dans sa chute le dernier empereur, après plus de 2 000 ans d’hégémonie. Mais, adulé ou décrié, Confucius ou encore Maître Kongzi, avec ses 2 500 ans au compteur, n’en a pas fini avec la Chine. Sa pensée a survécu à toutes les tentatives d’éradication dont elle fut l’objet, des débuts de l’empire aux purges de la révolution culturelle.
Étant à Beijing, une visite au temple de Confucius s’impose, pour mieux apprécier celui qui a si fortement marqué l’esprit chinois. En chemin, sur les murs obscurs des tunnels du métro où sont projetées des publicités, on peut lire en anglais au milieu des caractères chinois : « in learning we trust ». C’est de bon augure, je suis sur la bonne voie. Le temple de Confucius se trouve dans un Hutong à deux pas de "Lama temple", monastère dédié au bouddhisme tibétain. L’idée d’un lieu ouvert aux joies et l’âpreté de la connaissance est séduisante à une époque qui préfère aduler des starlettes et des joueurs de ballon, tout en se méfiant clairement de tous les experts et intellectuels, mots qui sont devenus nettement péjoratifs dans une société de divertissement. C’est que la connaissance ne procure pas une émotion facile et immédiate comme le sport ou la chanson. Elle se cache aux esprits futiles et avides pour semer ses graines dans des terres plus fertiles, et plus rares. Première leçon de Confucius : nulle sagesse sans une intelligence nourrie et soignée. L’étude des textes anciens est ici primordiale sur le chemin de la connaissance, comme l’arbre à besoin de s’enraciner d’autant plus profondément qu’il veut pousser plus haut.
Vue sous un certain angle, on peut reprocher à la pensée de Confucius l’immobilisme d’une société hiérarchisée où le rituel prime sur la spontanéité. Une affiche sur les murs du métro de Beijing évoque pourtant le fait que ces deux dimensions ne sont pas nécessairement incompatibles. Cette affiche exprime le « Beijing spirit » en quatre mots : patriotisme, inclusion, innovation, vertu ! Les valeurs prônées par Confucius continuent d’irriguer en profondeur l’état d’esprit de cet orient si difficile à comprendre et si contradictoire. Une idée très enracinée dans la pensée extrême-orientale est la nécessité de tempérer les excès d’une orientation par son contraire ou une visée légèrement différente. C’est là l’essence du Yin et du Yang qui mène à la Voie du milieu, loin des extrémismes réducteurs et mutilants. Cette idée de « Voie du milieu » est sans doute un des plus précieux héritages de Confucius, tant cette sagesse toute en tempérance est porteuse de sens dans toutes les situations : amour, argent, succès, travail, relations, etc. L’excès qui semble caractériser tant de systèmes de pensée (extrémismes politiques et religieux) alimente la haine de l’autre et se berce d’arrogance et d’ignorance. Confucius propose ici une alternative des plus intéressantes : le « junzi », l’homme de bien. Non le héros, le puissant, l’inatteignable ; l’homme de bien, tout simplement.
La pensée confucéenne structure le monde dans un univers hiérarchisé où la piété filiale est une valeur centrale. Nous autres occidentaux, bercés d’une pensée égalitariste, sans que l’on parvienne d’ailleurs à définir pleinement de quelle égalité il s’agit, sommes mal à l’aise avec les cultures qui assument pleinement une hiérarchie entre les êtres, et la pleine soumission du peuple au pouvoir des puissants. Les castes en Inde rebutent notre esprit comme la dilution de l’individu dans les valeurs communautaires en Asie. Le philosophe Alain Renaut souligne dans l’ouvrage « la fin de l’autorité ? » la difficulté que nous avons aujourd’hui à nous situer entre une autorité vécue comme un mal nécessaire, dont les aspects contraignants paraissent désuets, et la perte de sens d’une liberté qui s’exerce sans conscience commune, produisant « un monde sans limites », vecteur de déstructuration psychique, selon le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun. La voie du milieu semble là encore une proposition possible, entre autoritarisme et laisser-faire. Elle semble pourtant la plus difficile à atteindre, tant l’équilibre est toujours subtil, sans certitudes, en comparaison des solutions radicales et faciles qui laissent peu de place à la pensée. Il est souvent plus confortable de savoir où l’on va que d’avoir à ajuster constamment son agir en fonction des multiples paramètres que constituent les circonstances. Les peuples ont tendance à préférer les leaders forts et sûrs de leurs convictions que les penseurs qui dirigent tout en finesse, pesant soigneusement les équilibres et conséquences. C’est qu’il faut un esprit éduqué et ouvert pour comprendre comment deux vérités peuvent s’opposer sans perdre leur véracité.
La pensée confucéenne assume pleinement la nécessité (dont aucune société ne se passe finalement), d’une structuration hiérarchisée de la société pour assurer sa viabilité. Cautionne-t-elle pour autant l’abus de pouvoir, l’harmonie se payant alors au prix fort de la dictature ? On pourrait le penser à voir la tyrannie du parti unique remplacer les excès des empereurs d’antan. Est-ce alors le soubassement confucéen de cette société qui justifie l’acceptation de cet état de fait, ou l’entreprise incroyable qui consiste à rassembler sur un territoire aussi vaste plus d’un milliard trois cent mille personnes, de différentes ethnies, dans une conscience commune ? Il est étonnant que la Chine qui a été le berceau de multiples inventions et qui possédait au moyen-âge une avance considérable sur le reste du monde n’ait jamais réussi à concevoir un système politique où l’harmonie résulterait d’autre chose que de la coercition et la soumission. Mais si la gestion politique des populations n’était pas étrangère aux préoccupations de Confucius, il serait réducteur de le cantonner à ce rôle de stratège, conseillé des princes, qu’il a finalement peu assumé.
La visée confucéenne rejoint surtout une préoccupation majeure de la philosophie, la question de la « vie bonne ». Pour atteindre le but, devenir un « junzi » ou « homme de bien », il faut suivre la Voie (le Dao) qui passe par l’étude des textes et de la musique, le respect des rites et la pratique du « Ren », cette « valeur d’humanité » ou morale permettant au final l’harmonie dans le respect et l’amour.
Le temple de Confucius est un lieu étrange où résonne l’écho d’une dévotion à ce penseur à travers les stèles gigantesques faisant mention des sacrifices réalisés en son honneur. C’est aussi un lieu de quiétude, où l’on imaginerait facilement des étudiants d’un autre âge, dans leurs tenues soignées, venant s’asseoir sur un banc pour s’instruire en vue des examens mandarinaux. Presque seul en ce lieu à la tombée de la nuit, juste avant la fermeture, je hume l’air rafraichi par quelques ondées passagères, dans les jardins du collège impérial, haut lieu de l’éducation sous les dynasties Yuan, Ming et Qing. C’est alors un voyage dans le temps que m’offre le soleil couchant, berçant de reflets dorés ces nobles institutions. On y trouve une salle regroupant d’immenses tablettes de pierres (189) où ont été gravés 13 classiques de Confucius avec un total de 628 000 caractères chinois. Un tel travail a pris 12 ans, école de patience d’une époque révolue où l’on avait le temps de bien faire et de faire bien.
Pour clore ces quelques réflexions à partir de Confucius, voici un texte* sur le management, tiré des « entretiens », qui malgré ses 2500 ans, vaut bien mieux que ce qu’on peut lire dans bien des manuels de management qui ressemblent à des traités de manipulation :
« Zizhang demande à Confucius ce qu’il faut faire pour bien gouverner.
« Le Maître : il suffit d’honorer les Cinq Qualités et de bannir les Quatre Défauts.
« Zizhang : qu’appelez-vous les Cinq Qualités ?
« Le Maître : l’homme de bien est capable d’être généreux sans gaspillage, de faire travailler le peuple sans susciter de rancune, d’avoir des aspirations sans convoitise, d’être grand seigneur sans prendre de grands airs, d’être imposant sans être intimidant […]
« Zizhang : qu’entendez-vous par les Quatre Défauts ?
« Le Maître : punir de mort au lieu d’instruire, c’est de la tyrannie ; attendre qu’un travail soit fait sans donner de préavis, c’est de l’oppression ; être lent à émettre des ordres et prompt à exiger leur exécution, c’est de l’arbitraire ; donner à quelqu’un son dû tout en le faisant avec parcimonie, c’est de la mesquinerie de petit employé. »
(*Extrait tiré du hors série du Point sur Confucius de juillet 2012 – Merci à Maria)
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