Un voyage autour du monde est l'occasion d'étonnements et de refléxions. La rubrique "pensées vagabondes" est ici pour partager la dimension philosophique de notre aventure. Les évenements, monuments et situations rencontrées sont prétexte à des articles sur nos regards et sur nos vies, sur l'Homme et toutes ses bizzareries...
Pensées vagabondes
Manu -
23-Jul-2012
Situation : avant le départ - Aubagne (13)
La pensée est souvent voire toujours vagabonde. Elle déambule dans les méandres de la réalité. Comme dans les rêves, elle sait associer les contraires pour inventer des idées renouvelées.
La pensée bien pensée est au fond une expérience de voyage : elle explore et se heurte au réel de façon abrupte, puis sélectionne les événements qu'elle retient comme pertinents. Elle crée le monde par sa façon de le percevoir, de le concevoir tout autant qu'elle se reçoit d'une réalité qui la précède.
La pensée à un support pourtant bien sédentaire : le cerveau bien calé au fond de la boite crânienne. Cette « inscription corporelle de l'esprit » (cf. Francesco Varela) enracine la pensée dans des processus physico-chimiques, fruit de millions d'années d'évolution. L'homme y perd 21 grammes, le poids supposé de l'âme comme entité distincte. Mais 100 milliards de neurones reliés chacun à quantité d’autres par 10 000 liaisons synaptiques, c'est encore plus vertigineux.
Alors comment la pensée s'y prend-elle pour s'étirer jusqu'aux confins de l'infini et plus loin encore dans les méandres des superstitions, croyances et autres fantaisies ? Comment s’aventure-t-elle hors de son substrat neurologique pour sembler parfois bondir d’une personne à l’autre (télépathie, contagion des idées, etc.) ?
Comment fait-elle pour s’affranchir constamment du carcan des perceptions sensorielles pour inventer de nouveaux espaces, sans pour autant s’inscrire dans une errance perpétuelle et pathologique ?
La pensée vagabonde, et parce qu'elle vagabonde, elle devient créatrice et plus seulement un mode d'adaptation nécessaire à la survie de l'espèce. En prenant son indépendance en quelque sorte, la pensée libère de la contingence et transforme le monde.
Il est parfois évoqué trois niveaux de l'agir humain : les actes, les paroles et les idées. Le principe est alors d'attribuer aux actions un pouvoir supérieur à la parole, elle-même plus influente que les idées. Pourtant, si l'on considère que nos pensées conditionnent nos dires et notre agir, c'est bien à la noosphère comme l'appelle Edgar Morin, la sphère des idées, que l’on doit le monde humain tel qu'il est, pour le meilleur et pour le pire.
Le langage est le principal vecteur de la pensée. Mais quand la pensée prend forme dans le langage, elle s’organise et se transforme déjà. Elle se sédentarise alors qu’elle est par essence voyageuse. Ludwig Wittgenstein dans son « Tractatus logico-philosophicus » perçoit cette difficulté : toute pensée n’est pas exprimable. Il en vient à l’idée terrible que : « Tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». Le voyage s’imagine, se pense, mais peut difficilement se dire avant de se vivre.
La définition des mots est souvent bien fade au regard de ce qu'ils disent, de ce qu’ils évoquent. Le mot citron est défini comme « le fruit du citronnier, de couleur jaune pâle et de saveur acide » (Hachette). Mais sa définition descriptive ne dit rien de la promesse de soleil qu’il contient : le citron, c'est déjà le Sud mais pas encore l'Orient. Le mot voyage est de ceux à la puissance évocatrice décuplée. Il transporte des images avant de bouger les corps, il est un vecteur d'imaginaire sans pareil. Le voyage, il n’est pas de mot plus onirique.
Nos pensées vagabondes sur les rivages de la conscience, bercées d’un étonnant mélange de raison et d'émotions. Selon Antonio Damasio (cf. « L’erreur de Descartes »), nos émotions ne sont d'ailleurs ni étrangères ni contradictoires avec nos pensées, elles leur sont nécessaires. Nos pensées vagabondent ou se figent. Elles sont le dernier refuge de la liberté quand les totalitarismes en tous genres tentent de formater les esprits. La pensée est partageable, mais reste le dernier bastion de notre intimité, celui qui ne peut être violé.
J’aime le moment de l'endormissement, quand les pensées peu à peu se chevauchent, se fondent en une multitude d'images qui ne sont pas encore le rêve, mais plus tout à fait raisonnables. C'est souvent un moment de fulgurance de la pensée, l’instant où surgissent des idées fécondes qui s'évanouissent parfois aussitôt, prise par le sommeil qui viendra les féconder ou les renvoyer dans l'oubli.
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