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Pensées vagabondes

Un voyage autour du monde est l'occasion d'étonnements et de refléxions. La rubrique "pensées vagabondes" est ici pour partager la dimension philosophique de notre aventure. Les évenements, monuments et situations rencontrées sont prétexte à des articles sur nos regards et sur nos vies, sur l'Homme et toutes ses bizzareries...


Philosophie du voyage
Manu - 23-Jul-2012
Situation : avant le départ - Lascours (13)

Voyage et philosophie sont liés depuis longtemps à travers les voyages philosophiques destinés à forger l’esprit en le confrontant à d’autres façons de voir et penser le monde. L’ouverture de l’esprit qui en résulte permet à de nouveaux concepts de voir le jour. « Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui », disait Montaigne.
 La distance éclaire les choses habituelles d’un jour nouveau alors qu’une trop grande proximité avec l’objet regardé trouble la vue. Dans cette longue tradition, le voyage est le moteur de la pensée parce qu’il est distance, découverte, confrontation. De même, dans les divers courants spirituels qui traversent l’humanité, la fonction prophétique, porteuse de nouveauté s’oppose à la très sédentaire prêtrise. L’une impulse le renouveau quand l’autre veille sur le troupeau et se porte garant de la tradition. Il n’est point à mépriser l’une pour savourer l’autre. Emmanuel Kant n’est guère sorti de chez lui et sa pensée a fait le tour du globe. Mais comment la théorie de l’évolution aurait-elle pu voir le jour sans l’extraordinaire voyage de Darwin à bord du  Beagle de 1931 à 1936 ?


Si le voyage peut nourrir utilement la philosophie, l’inverse est également vrai, tant il y a de façons de penser le voyage et donc de voyager.
Sénèque développe une idée contre le voyage, mais que l’on pourrait retourner en sa faveur : « L'esprit du voyageur fait plus en cela que les lieux où il se trouve ; aussi ne faut-il s'attacher particulièrement à aucun endroit. Il faut penser et dire : non, je ne suis pas né pour tel coin de la terre ; ma patrie, c'est le monde entier. Avec cette conviction, vous ne serez plus étonné de l'inutilité des voyages ; c'est l'ennui qui vous chasse d'un pays à l'autre ; le premier vous eût plu, si vous les regardiez tous comme le vôtre. Vous ne voyagez pas, vous errez çà et là, de contrée en contrée, tandis que le but de vos recherches, le bonheur, se trouve partout ». Jesus et St MenasSi je partage avec lui l’idée que l’on peut développer son humanité dans quelque endroit que l’on se trouve, la confusion entre voyage et errance est trompeuse. L’errance tourne sur elle-même quand le voyage élance vers de nouveaux horizons. Sénèque a pourtant le mérite de souligner un point important concernant le voyage : il ne peut être un remède contre soi. Ainsi, pour continuer un instant avec Sénèque : « partout où vous irez, vos vices vous suivront. Socrate dit à un homme qui se plaignait comme vous : “Vous vous étonnez de ne tirer aucun fruit de vos voyages : c'est toujours vous que vous transportez”. La cause qui vous a mis en route s'attache à tous vos pas ». Si l’on voyage, c’est avec ce que l’on est, rien de plus et rien de moins. Le voyage peut ouvrir davantage un esprit ouvert, peut satisfaire un esprit curieux, mais ne peut guérir une âme en peine. L’homme heureux sera comblé, le voyageur blasé sera déçu. Le voyage est de peu d’utilité s’il vise à combler un manque. Il est plein de ressources au contraire pour qui n’en attend rien.


Pour Victor Ségalen, le voyage est une confrontation de l’imaginaire au réel. Ce que l’on imagine d’une contrée lointaine sera soumis au principe de réalité. Chaque endroit, comme chaque personne, a ses grandeurs et ses bassesses. Ce n’est pas le voyage qui fait l’homme (bien qu’il puisse y contribuer), mais c’est avant tout l’homme qui fait le voyage. C’est pourquoi chaque voyage est unique, parce qu’il est le voyage de telle ou telle personne, même si les lieux sont les mêmes.


Allant dans le même sens, dans l’ouvrage « L’âme du monde », Frédéric Lenoir raconte cette belle histoire :


« Un sage pris la parole et dit : “un vieil homme est assis à l’entrée d’une ville. Un étranger s’approche et lui demande : ‘je ne suis jamais venu dans cette cité ; comment sont les gens qui vivent ici ?’
Le vieil homme répond par une question : ‘comment étaient les habitants de la ville d’où tu viens ?’
- Egoïstes et méchants. C’est la  raison pour laquelle je suis parti”, dit l’étranger.
Le vieil homme répond : “tu trouveras les mêmes ici”.
Un peu plus tard, un autre étranger s’approche et demande au vieil homme : “je viens d’arriver, dis-moi comment sont les gens qui vivent dans cette ville ?”
Le vieil homme répond : “dis-moi, mon ami, comment étaient les gens dans la cité d’où tu viens ?”
- Ils étaient bons et accueillants ; j’y avais de nombreux amis. J’ai eu de la peine à les quitter.
- “Tu trouveras les mêmes ici », répond le vieil homme”.


S’il est important de souligner à quel point le voyage ressemble au voyageur, il est aussi à considérer que l’expérience du voyage, en soi, comme mise en route et confrontation à l’ailleurs est une expérience de vie propre à enrichir et développer nos perceptions, regards et pensées. Tous les lieux, les modes de vie, même s’ils ont des points communs, ne se ressemblent pas. Le monde regorge de ressources, de beauté,  de saveurs, de lieux et constructions uniques qui ne se déplacent pas. Seul le voyage permet de les atteindre et d’en sentir l’inspiration. Vibrer au rythme du monde et non d’une seule portion, telle est la source du voyage.

Il peut être égoïste et dominateur, mais aussi ouverture et rencontre, une petite pierre posée à l’édifice en construction d’une conscience commune traversant la terre et unissant les peuples au-delà des différences culturelles. À l’heure de la montée des nationalismes de tous genres dans les pays occidentaux, des replis identitaires perceptibles et guidés par la peur et l’inconnaissance de l’autre, le voyage est signe d’une volonté de s’enrichir de nos différences, de la possibilité d’une rencontre et d’un partage.

 

A partir d'ici :

Prolonger la réflexion sur la philosophie du voyage par la question éthique.

 

Illustration ci-dessus : Jésus et St Menas, icône copte du VII° siècle conservée au Louvre.

 

 

 

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